Le café Formento

LE CAFÉ FORMENTO



J’y ai peu de souvenirs. Mais j’ai gardé de ce lieu le souvenir qui a le plus blessé mon âme d’enfant. C’est là, dans une odeur de sciure et sur un comptoir luisant de sirops mal essuyés que j’ai appris la mort de mon père.
C’est là, que les adultes, qui m’avaient sorti du collège par une froide journée de décembre, devaient m’annoncer l’irréparable.
L’enfant que j’étais a sombré dans une douleur muette faite d’incompréhension et de résignation.
Mon père était mort !
Comment les papas peuvent-ils mourir en laissant leurs enfants au bord du chemin avec pour seuls bagages, la peur et l’angoisse.
Comment Dieu peut-il vouloir que des enfants souffrent sans trouver les mots, sans imaginer la suite de leur vie sans leur papa ?
Comment des adultes peuvent-ils annoncer une si terrible nouvelle en disant que désormais l’enfant que j’étais devenait un grand garçon !
Comme le monde des grands est éloigné de celui des enfants !
C’est les épaules chargés de responsabilités inconnues que j’ai quitté ce lieu avec le glas qui sonnait tout près et qui confirmait ce que je venais d’entendre.
Je n’avais pas la force de me révolter, de crier des injures à ce dieu qui n’avait pas exaucé mes prières ingénues et puériles.
J’avais peur de voir ma mère et mes frères, j’avais peur de voir leurs yeux qui devaient ressembler aux miens, j’avais peur d’être confronté à la mort ! J’étais glacé comme un naufragé au milieu de l’indifférence de ce bistro où les consommateurs devaient avoir hâte de me voir partir avec mon enveloppe de malheur.
Comme j’étais petit ! comme le monde me paraissait cruel. La terre entière m’avait volé mon papa et personne ne semblait comprendre cette évidence. On disait que j’étais orphelin alors que je venais d’être amputé d’une partie de mon âme !
Petit enfant sans bouée dont les larmes coulaient sans bruit.
La lumière diminuait autour de moi, le ciel se remplissait de cris de corbeaux comme pour mieux arracher les lambeaux de ma vie.
J’étais triste, je voulais disparaître, ne pas affronter la terrible réalité.
Les mots qui me parvenaient dans un brouillard cotonneux étaient sans signification dans mon monde ; seule la réalité faisait inexorablement son chemin en moi, avec un soc en fer qui ouvrait une plaie qui ne s’est jamais refermée.
Café Formento tu resteras le décor de ces moments que je ne voudrais revivre à aucun prix, tu n’y es pour rien, tu n’as été qu’un lieu sans état d’âme, tu n’as été que le théâtre où s’est joué une pièce de ma vie.

Francis ROCH
1994



18/02/2012
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