Les autocars jusqu'en 1962

LES AUTOCARS jusqu'en 1962

Il faut entendre par là les transports par autocars entre la capitale et Tiaret. Il y avait les cars blidéens reconnaissables à leur couleur rouge qui faisaient Alger - Tiaret avec des arrêts de type omnibus. Leur coût était plus onéreux et de ce fait, ces autocars étaient prisés par la population européenne sans pour autant qu'il y ait une discrimination.
L'autre prestataire était les cars Mory qui arboraient une couleur verte.
Mory, c'était également un réseau de transports routiers par camions.
A Téniet, les messageries Mory utilisaient des locaux situés en plein centre de la ville, à proximité de l'épicerie Angelotti. Ensuite, il me semble que l'autocar partait vers Trolard Taza, mais je n'en suis pas sûr.


Car blidéen des années 1960

Le service blidéen, qui prenait ses passagers au même endroit, continuait vers Tiaret où le terminus était situé rue Cambon, en dessous de la rampe Bugeaud. Il s'agissait de locaux peints en rouge avec un bureau et une salle d'attente équipée de bancs en bois.
Le départ de Tiaret se faisait vers 5 heures du matin. Avant le départ, je ne dormais pas, tout excité que j'étais à la pensée de voyager, de voir défiler les paysages parfois verdoyants mais plus souvent grillés.
L'autocar doublait des files de bourricots dont les bats étaient chargés au-delà des possibilités du pauvre animal. Les muletiers nous adressaient des signes en levant très haut leur bâton sans se soucier d'une éventuelle réponse.
Aux arrêts, les enfants piaillaient autour du véhicule mêlant rires et pleurs. Leur morve largement étalée sur la lèvre supérieure les faisait se moucher d'un revers de la main. Leurs yeux de poulbot, couleur de nuit, cherchaient quelques nourritures traînant sur les sièges ou dans l'allée et ils s'en allaient déçus ou provocateurs suivant que la quête avait été bonne ou pas.
Les mouches bourdonnaient agaçant les petits cireurs qui tentaient de se faire quelques sous en offrant leur service aux passagers qui étaient chaussés.
J'ignore totalement l'histoire de ces messageries qui devaient probablement leur origine au développement des liens commerciaux entre les différentes villes et villages.

Messagerie au départ bd de France (rue de Tiaret)

Elles étaient le système veineux de l'économie, véhiculant quotidiennement des voyageurs de toutes confessions sans discrimination comme je l'ai dit plus haut mais également des marchandises, des petits  objets manufacturés, des journaux, des volatiles, etc.

Courrier attaqué vers les années 1910

J'ai retrouvé une vieille carte postale qui représente l'attaque de la messagerie entre Téniet et Affreville. Le véhicule est hippomobile ce qui prouve que les messageries existaient déjà avant la première guerre mondiale. Cette photographie dit qu'il s'agit d'une attaque, ce qui permet de penser que la route n'était pas totalement sûre !
J'ai plusieurs fois entendu mon père racontait l'anecdote du ravin du Lion sur cette même route. En effet, un lion (était-il vieux ?) apparaissait à cet endroit ce qui effrayait les chevaux et les passagers qui ne se sentaient pas trop en sécurité derrière leurs portières en bois.
A partir de novembre 1954 (ou peu après), qu'ils soient Blidéens ou Mory, ces cars durent se plier à la règle absurde mais sécuritaire du convoi militaire ce qui chamboulait considérablement les horaires. Il faut dire que de guerre lasse, les gens attendaient le passage des cars sans manifester d'impatience, en devisant ou en se disputant. Alors là, les canes se levaient, les regards se durcissaient mais un code invisible ramenait le calme et chacun retournait à ses préoccupations parfois silencieuses.

ticket avec possibilité de 2 classes

Le  blidéen continuait librement vers Tiaret en traversant les hauts plateaux du Sersou, pour atteindre son terminus.
Plus d'une fois je l'ai pris pour me rendre à Tiaret, soit seul, soit en compagnie de ma grand-mère. Pour moi, le blidéen était synonyme de voyage et même d'aventure.
Les arrêts dans les communes de Taine, Vialar, Trumelet et bien d'autres, nous permettaient de descendre souvent pour aller nous rafraîchir dans un de ces cafés largement ombragés qui sentaient l'anis et la poussière.
Dans la salle, on voyait le serveur qui promenait un arrosoir avec lequel il faisait des grands ronds sur le plancher de bois afin de fixer la poussière sans cesse présente à cause du vent et des chaussées en terre. Les tables et les chaises en bois bordaient un comptoir sur lequel séjournait la kémia toujours présente pour accompagner l'anisette.
Le café, mais pouvait-on lui donner ce nom, qui se trouvait à Marbot, en amont de Téniet, restera pour moi un lieu privilégié, voire surnaturelle. Simple tonnelle couverte de roseaux adossée à une maison modeste, il fleurait bon la menthe. La poussière faisait un ballet gracieux dans les rayons du soleil. La patronne, une vielle dame toute de noir vêtue, nous accueillait comme si nous étions de la famille. Son eau, tirée du puits, était d'une fraîcheur exquise et je n'aurais pas échangé ma grenadine pour tout l'or du monde.
Lorsque le siroco soufflait, les autobus devenaient souffreteux, s'arrêtant parfois pour refaire de l'eau. Tous ces capots ouverts ressemblaient à des moignons dressés vers le ciel couleur du diable, comme dans une prière métallique ! A l'intérieur du car, la température montait rapidement, exhalant des odeurs parfois irrespirables. Alors, sortaient des couffins des bouteilles thermos remplies d'eau antésitée ou des petites outres contenant le chn'in aigrelet mais combien désaltérant. Galettes, oignons tombaient des torchons noués en coin et des repas s'organisaient mêlant parfums et fumets. Ces provisions me donnaient envie et ma grand-mère, qui était très à l'aise avec tout le monde, entamait une conversation avec ses voisins et je recevais une figue fraîche ou une poignée de dattes décorées de brins de tabac qui venaient du fin fond d'une poche souvent mal cousue. Les yeux bleus de ma grand-mère, qui souriaient, étaient une autorisation muette qui me permettait d'accepter cette hospitalité faite de petits riens qui remplissaient le cœur de bonheur.

Messagerie Mory

Quand les voyageurs Algériens payaient leur billet, souvent ils maugréaient contre la cherté du trajet, peut être plus par principe que par conviction. Dès que la litanie était terminée, il sortait d'une poche secrète un portefeuilles fait de cuir noirâtre fermé par une ficelle largement entortillée. Parfois, une  épingle à nourrice, à laquelle pendaient quelques talebs, faisait office de fermoir. Et, il comptait lentement leurs douros.
Certains voyageurs prisaient, d'autres crachaient sur le sol ou dans des petites fioles prévues à cet effet. Les pieux égrainaient leur chapelet d'os ou de buis à longueur de temps, prenant parfois le ciel à témoin, ou maudissant le chauffeur qui faisait des embardées pour éviter les trous qui émaillaient la route. On entendait alors les volailles du toit qui manifestaient leur mécontentement et leur fatigue.
Les femmes étaient les plus énervées car elles étaient sans cesse en but aux vexations. Les plus vieilles, celles qui n'étaient pas voilées, se défendaient en criant ou en maudissant tel ou tel ancêtre ayant enfanté son tourmenteur.
Cela faisait bon enfant car la promiscuité était admise bien que parfois difficile à respirer.
L'arrivée des cars était l'événement quotidien du village. C'était pittoresque de voir descendre ces passagers enturbannés ou coiffés du m'dal, il semblait que leur nombre dépassait les possibilités du véhicule. C'était vrai, puisque l'allée centrale était parfois bondée au mépris de toutes les règles de sécurité. Il ne s'agissait pas là de faire de l'argent mais de ne point laisser un voyageur sur le bord de la route ! Hospitalité oblige.

Francis Roch 1993




04/03/2012
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